« Le monde que nous avons créé est un processus de notre pensée. Il ne peut pas être modifié sans changer notre façon de penser ».
Albert Einstein.
Salut à toi, jeune Padawan
Aujourd’hui, on va aborder l’une de mes dernières lectures, mais contrairement à ce que nous faisons traditionnellement dans cette rubrique, je vais devoir en parler un peu plus qu’à mon habitude. On va donc être sur un billet d’humeur et de lecture, souple et solide à la fois, en somme. Pour te donner envie de le lire, certes, mais aussi parce que le sujet, d’une importance réelle et sérieuse, vaut qu’on l’aborde, ne serait-ce qu’un peu.
C’est parti donc pour une petite discussion sur un ouvrage de Julia de Funès, paru en 2019.
Développement (Im)personnel
Tout est dans te titre, mais développons quand même.
Julia de Funès (oui, la petite fille de tu sais qui ! ndlr), philosophe, nous livre ici une brillante analyse, qui a d’ailleurs été une partie de sa thèse, avant de devenir un ouvrage paru aux éditions de l’Observatoire.
Ah, le développement personnel, ou comment proposer à un être unique une solution commune à tous les lambdas de cette terre. Sentant le malaise de cette pratique, je suis assez rassurée de voir que nous sommes de plus en plus nombreux à en percevoir la dichotomie. En cela oui, le développement personnel, par sa logique même, est impersonnel, d’où le titre choisi par l’auteur, mais cet ouvrage contient bien d’autres réflexions sur ce sujet. Pourquoi ai-je dont eu envie de te partager, mieux, de te donner l’envie de cette lecture ? Parce qu’elle est essentielle.
L’Homme moderne est désormais perdu dans un océan d’aliénation*, et nombre de petits malins ont compris à quoi servait le filet de pêche. D’autre part, comment se fait-il que l’on n’irait jamais voir un chanteur ou un menuisier pour se faire poser une prothèse de hanche, mais que lorsqu’il s’agit de santé mentale, certains sont capables de faire confiance à un « coach » sur Instagram ?
Car, si tu peux très bien avoir une vie heureuse et bien remplie en fauteuil roulant à condition d’un mental sain, l’inverse n’est pas vrai. Alors, pourquoi certains d’entre nous, en détresse émotionnelle, se reposent sur des charlatans ? Le refus de s’en sortir ? Peur d’affronter ses peurs ? L’angoisse du travail sur soi à fournir ?
De plus, depuis que l’homme perd sa foi en dieu, il ne s’est jamais autant raccroché à des croyances et idéologies de tous bords, de plus en plus farfelues, de plus en plus douteuses, pour ne pas dire dangereuses, surtout pour les plus jeunes, qui par définition n’ont pas les armes pour en comprendre les mécanismes.
Page 24 du livre, l’auteur parle d’incapacité. Autrefois, la question était : « ai-je le droit de faire ceci ou cela ? », aujourd’hui, nous en sommes à « suis-je capable de le faire ? ». En effet, Freud disait que si « l’homme devient névrosé parce qu’il ne peut supporter le degré de renoncement exigé par la société, il devient déprimé parce qu’il doit supporter l’illusion que tout lui est possible. » Le coach de développement personnel berce cette illusion, et les désillusions commencent.
Non, tout n’est pas à notre portée, non, tout n’est pas accessible, le rêve américain ou quoi que ce soit d’autre, c’est de la foutaise pour ignares ou adolescents. Ou les deux. Déjà, nous ne flânons pas tous sur « les trottoirs de Manille, de Paris ou d’Alger, pour apprendre à marcher », en outre, un individu « né quelque part » avec des parents présidents de multinationales, n’aura jamais le même carnet d’adresse que celui qui est fils de paysan, ou plutôt l’inverse, justement. Ensuite, nous n’avons pas la même intelligence, les mêmes aptitudes, la même beauté, le même charisme, etc. Enfin, les 0,000000001 % que l’on te montre à la TV ne sont que poudre aux yeux. D’une part, parce qu’ils sont un exemple si infime sur les X milliards d’êtres humains sur terre que tu as plus de chances de gagner au loto que de devenir le prochain Besos, et d’autre part, parce qu’encore une fois, on ne te dit pas la vérité. Non, ces gens ne se sont pas faits tous seuls (Gates), oui, ils viennent de familles qui ont de l’argent (Trump), oui, ils ont bénéficié d’un carnet d’adresse (Musk), oui, ils ont violé telle ou telle loi sans se faire prendre (tant d’exemples me viennent ici !), oui, ils ont fait du chantage pour obtenir ceci ou cela (cf. : Starbucks), oui, ils ont volé un projet (cf. : Facebook), et même parfois, tout à la fois !
Mais, le coach en développement personnel, lui, va te faire devenir « riche en 10 leçons », œuf corse, allons-y, transformons nos désirs en réalité ! La « pensée positive », c’est bien, oui, pensons positif, mais ne positivons pas plus que nous ne pensons.
Page 60, l’auteur aborde le sujet de la confusion que les coachs mettent en place entre « l’assurance, qui est l’affirmation de soi, l’absence de doute sur soi-même » et la confiance en soi, en rapport avec la foi, la croyance. Allez, hop, encore un peu de croyances et d’idéologie dans la sauce. Et puis, histoire de bien ferrer le chaland dans son océan de perte de sens, on va jouer sur la peur (P.76), celle qui paralyse, qui réduit le champ de vision, qui empêche la prise de recul ou le raisonnement de bon sens.
Le « moi » aussi est mis à mal, avec les injonctions à devenir soi (P. 80), où l’auteur met en exergue une dichotomie évidente : « Comment être naturel et véritable en suivant les conseils d’un autre que soi-même » ? Car (P.88), « la rencontre véritable avec soi-même suppose au contraire une certaine forme de « naturel », ou de spontanéité, d’ouverture à l’autre, de passion, d’involontaire ». Or, « la sincérité totale et constante comme effort constant pour adhérer à soi est, par nature, un effort constant pour se désolidariser de soi » **.
Alors, quelles solutions autres que le développement personnel ?
La philosophie, pardi ! Et là, ceux qui me connaissent un tantinet savent pourquoi j’ai tant aimé cet ouvrage. Car oui, il y a deux solutions qui ont fait leurs preuves pour la santé mentale : le psy et la philo. L’un, l’autre ou les deux, mais ici, on parle d’avantage philo.
La philosophie, avant toute chose, avant même la dialectique, la maïeutique, c’est l’art de se poser des questions. Les enfants le font très bien d’ailleurs : pourquoi y a-t-il des étoiles dans le ciel, pourquoi la mer est bleue ?, etc. Et puis, nous avons grandi, et avons cessé de nous interroger. Pourquoi ? (oui, ceci est une tentative d’humour philosophique, lol, ndlr).
Page 137, l’auteur observe que « la principale difficulté de l’existence humaine tient dans la nécessité morale de se créer soi-même, c’est-à-dire de dépasser les exigences sociales et d’intelligence pour trouver une énergie vitale qui nous est propre ». Ceci sous-entend une perpétuelle évolution, une maturité, un changement permanent.
Pour devenir qui nous sommes, il est aussi utile de se pencher sur les travaux de la Boétie, et de son « Traité de la servitude volontaire », qu’au passage, je recommande chaudement à tous, pour tous : « c’est l’habitude qui engendre la continuation de la servitude », évoqué Page 147 par l’auteur. Page 148, on voit le problème avec le coach, dans le fait d’imposer sa subjectivité en objectivité : « La servitude étant et du côté des asservis et du côté de l’ascendant, les deux vices à combattre sont donc l’inertie de l’habitude et le « charme » des fabulations d’un maître ».
Voilà, je pense que cela est suffisant pour te donner une furieuse envie de lire cet ouvrage, car au-delà des coachs de développement personnel, il en va aussi des idéologies qui tournent de plus en plus un peu partout. Cet ouvrage est un vaccin contre tous ces courants de pensées actuels et éphémères mais pas sans conséquences, t’invitant à te développer toi-même, par la philo, en arrêtant de suivre les modes pour exister, le formatage généralisé, car nous sommes de plus en plus perdus, voire en perdition, pas dans le sens de l’Église et du salut, mais sur le vocabulaire marin du terme : nombre d’entre nous sommes à deux doigts du naufrage émotionnel, de la noyade intellectuelle, nous sommes à la dérive, et une horde de connards sont là, avides d’âmes troublées, avec barques et filets pour venir nous pêcher.
Cet article, tu l’auras compris, outre cette magnifique lecture, pour te prévenir, pour t’avertir du risque ci-dessus, mais aussi pour te dire de faire attention, car c’est au moment où le plus grand nombre d’entre nous sont vulnérables que les « gourous » arrivent, et généralement, ils ne sont pas en dreadlocks, pantalons multicolores et pulls-qui-gratte. Non, non, ils sont plutôt en costard-cravate et chaussures sur-mesure, ils te pointent la menace de l’horrible ennemi et te persuadent d’aller te faire tuer pour une cause qui va leur rapporter gros. C’est comme au loto, sauf que si, à leur jeu, tu joues, tu es sûr de perdre.
Une bouteille subliminale à la mer, à bon entendeur et tout de bon. 🕊️
* De l’état de la personne asservie, soumise à de telles contraintes qu’elle devient étrangère à elle-même.
** Jean-Paul Sartre, l’Être et le Néant, Gallimard, 1976, p. 105-106.
Très belle conclusion, ma chère, et tu nous as bien vendu cet ouvrage ; je pense me le procurer afin de le prêter ensuite à quelques âmes distraites de mon entourage.
Ravi de constater que tu te remets à la philo. Et au vu de ta lecture actuelle, je suppose que nous pouvons nous attendre à un nouveau billet d’ici peu, en tout cas, je l’espère, sans vouloir gâcher le suspens de ton lectorat !
Charlou.
Ravie de voir que tu guettes mes publications, tapi dans l’ombre ! Merci pour le soutien et à très bientôt pour une discussion philo. Mes amitiés, Charlou !
J’aime la phrase d’Albert Einstein!… le plus dur est d’avoir la volonté de restreindre notre pensée nombriliste pour créer un nouveau monde qui priorise l’intérêt du plus grand nombre. Il faut mettre de côté la passion pour revenir à la raison.
Quand allons-nous enfin utiliser notre plus bel outil qu’est le cerveau?… pour analyser sereinement et intelligemment les situations et arrêter de croire que seuls les cerveaux des autres ont le monopole de la vérité.
L’ouvrage de Julia de Funès est paru en 1021? N’est-ce pas plutôt vers septembre 2019? Arrête de manger des donuts, c’est trop bon mais ça fait glisser les doigts sur le clavier… hi…! hi!… hi!
Oui, tu m’as donné envie de lire ce livre.
Merci pour ton retour, et faute de frappe corrigée 😁✌️