“L’addiction, c’est tout ce qui vide la vie de son sens, tout en la faisant paraître meilleure.”
Clarissa Pinkola Estés.
Salut à toi, jeune padawan
Maintenant que nous avons abordé nos besoins et apports journaliers en glucides, ainsi que les liens et risques liés à notre cerveau et notre mémoire, nous sommes maintenant mûrs pour aller droit au but de cette série sur le sucre en quatre épisodes, et parler du sujet principal lié au sucre : l’addiction.
En avant Guingamp, en voiture Simone, attache ta ceinture, ça va swinguer.
Le sucre et notre histoire.
Pour savoir comment nous sommes arrivés dans cette situation, nous devons comprendre d’où nous venons et appréhender notre genèse. Remontons dans le passé, dans notre histoire, et ouvrons les yeux sur les différentes problématiques.
Nous avons souvent entendu, notamment à l’école, que le moyen-âge avait duré très longtemps ; et pour cause, puisque cette période a commencé à la fin de l’empire romain, pour laisser place à la renaissance. Cependant, l’ère la plus longue de l’histoire humaine au sens global a pourtant été le paléolithique. L’échelle ne laisse place à aucun doute, puisque le Paléolithique commence avec l’apparition des premiers outils lithiques, il y a 3,3 millions d’années en Afrique et s’achève, il y a 11 700 ans, avec la fin de la dernière période glaciaire, qui ouvre la voie au Mésolithique en Europe et dans de nombreuses régions du monde. Le Paléolithique couvre donc environ 98 % de la durée de la Préhistoire, qui, quant à elle, s’achève avec l’apparition de l’écriture vers 3 300 ans av. J.-C., en Mésopotamie. Le Paléolithique, le Mésolithique et le Néolithique se succèdent dans cet ordre et forment l’âge de pierre.
La période la plus dense en termes d’évolution, en opposition donc avec le paléolithique qui demeure la plus longue en terme d’années, a sans doute été notre ère moderne, que l’on pourrait approximativement situer de 500 av. J-C à nos jours. Mais, sur le plan nutritionnel pur, précisons à nouveau dans ce chapitre que, notre alimentation a plus changé en soixante-dix ans qu’en trois millions d’années.
Or, en tant qu’espèce, nous sommes toujours identiques sur les plans génétiques et physiologiques aux premiers hommes, les fameux chasseurs-cueilleurs qui vivaient avant les débuts de l’agriculture, et biologiquement parlant, notre corps se comporte exactement comme celui de nos ancêtres. Imaginons que nous remontions le temps et que nous nous retrouvions avec eux, à l’ère paléolithique. Ni eux, ni nous, ne comprendrions le régime alimentaire de l’autre, et il est fort à parier que celui qui ferait en premier une hypoglycémie réactionnelle serait malheureusement notre congénère du passé, en avalant son premier “McDonald’s”.
Si la consommation de sucre est certes physiologique, la nature n’avait pas prévu qu’un jour, nous raffinerions des produits naturels pour les transformer en concentré de sucres. C’est un peu comme le pétrole avec lequel nous avons fait des carburants ou des plastiques. Ainsi, l’aliment naturel dans son totum, avec ses autres nutriments et fibres, n’a pas la même charge glucidique qu’une molécule pure. Par exemple, une fraise et le sirop de glucose n’ont pas du tout le même index glycémique.
L’aspect psychologique de l’addiction au sucre.
À la base, le système est bien fait. Notre corps a besoin de glucides pour survivre donc lorsque nous en ingérons, il nous récompense en sécrétant certaines hormones, par exemple de la dopamine, neurotransmetteur de la récompense et du plaisir.
Après avoir mangé, la glycémie s’élève. L’insuline aide à transporter le sucre dans les cellules et une fois pleines, elles vont arriver dans des zones de stockage telles que le foie (sous forme de stock de glycogène, ndlr) et les muscles. Une fois qu’elles sont pleines, elles sont transformées en graisses. En théorie, si on a suffisamment de graisses dans le corps (ou environ quinze minutes après que l’estomac a reçu de la nourriture, ndlr) le corps va produire de la leptine pour envoyer le message au cerveau de réduire les sensations de faim. On est donc censé avoir moins faim quand le corps a suffisamment de stocks de graisses, ou l’estomac plein.
La glycémie a fort à voir avec cette addiction, puisque comme avec toute substance entraînant une dépendance, qu’elle soit légale ou non, le sucre emmène le sujet dans des hauts, puis des bas qui déclenchent un manque, et une nouvelle consommation du produit. Le mécanisme est assez logique : si nous consommons trop de glucides, notre corps va devoir faire face à des variations de notre glycémie et de notre dopamine, appelées aussi “montagne russe” ou “hypoglycémie réactionnelle”, rapport à une consommation de glucides normale sans grandes variations glycémiques.
Lorsque le niveau de cette montagne russe est au plus haut, nous pouvons avoir un coup de fouet, un petit regain d’énergie. Nous sommes également sur une humeur haute, car le corps sécrète notamment de la dopamine.
Inversement, lorsque la glycémie chute de façon assez rapide, notre corps fait face à une hypoglycémie réactionnelle due à un excès d’insuline. C’est alors qu’une fatigue arrive, nous n’avons plus l’envie de bouger. De plus, la dopamine chutant, l’irritabilité s’installe.
Ainsi, dès que les effets de l’hypoglycémie réactionnelle se font sentir, les envies de glucides sont de plus en plus importantes, en termes de concentration (choix de produits de plus en plus sucrés, nldr) et de quantité. Elles sont aussi de plus en plus fréquentes, car au plus le shoot de glucides est fort et concentré, au plus la glycémie retombe rapidement et au plus bas, relançant une nouvelle hypoglycémie réactionnelle. L’addiction arrive, le cercle vicieux des glucides est installé.
Cet enchaînement de hausses et baisses d’insuline, empêchant la leptine, hormone de satiété, de faire son travail, ainsi que les hausses et chutes de dopamine, vont créer une instabilité de plus en plus difficile à gérer pour l’organisme et le mental du sujet. En effet, la leptine est inhibée par la présence d’insuline dans le sang. Donc si on a constamment de l’insuline ou trop de sucre dans le sang, les cellules ne vont pas pouvoir le signaler au cerveau et le sujet a beaucoup trop souvent faim ; une faim hormonale, non physiologique. Alors, il prend du poids.
Parmi les hormones principalement impactées, la surconsommation de sucre provoque également une baisse de la production de cortisol, mais sur le moment uniquement, puisqu’il augmente par la suite. D’où cette impression que le sucre « réconforte » sur le moment, avant la chute de moral. Cette hormone stéroïde du stress fabriquée à partir du cholestérol par nos glandes surrénales joue un rôle essentiel, notamment dans l’équilibre du glucose sanguin. Elle intervient aussi dans le métabolisme des graisses et des protéines.
C’est pour cela que nombre d’entre nous mangeons du sucre lorsque arrive contrariétés ou anxiété. Le problème est que la consommation de sucre en état de stress, en plus d’augmenter le stress lui-même, augmenterait le stockage des graisses au niveau viscéral*, ce qui engendre le risque de surpoids, d’obésité, et de maladies cardiovasculaires. Enfin, cette sur sollicitation épuise nos glandes surrénales.
La sérotonine, neurotransmetteur précurseur de la mélatonine, qui favorise la relaxation, le calme et la satiété, joue également un rôle dans cette affaire. En effet, un faible taux de sérotonine serait aussi lié à des envies de sucre. Sans confondre envie et addiction, la résistance à l’insuline interfère cependant avec le transport du tryptophane vers le cerveau, ce qui réduit la production de sérotonine. Un grain de sable dans un rouage, et toute l’homéostasie est perturbée.
Enfin, certaines bactéries de notre microbiote, comme le candida albicans, jouent aussi un rôle dans l’addiction au sucre. En effet, s’il se multiplie de manière anarchique, il entraine une baisse de notre sérotonine, donc des envies de sucre, mais aussi une grande fatigue et des symptômes semblables à une dépression (dus à la libération de mycotoxines par le candida, redoutables compétiteurs à la dopamine). Ainsi, le patient aura sans nul doute des appels au sucre qui contribueront au cercle vicieux de multiplier de manière exponentielle le candida albicans dans son organisme.
Voilà ce qui se passe chez beaucoup d’entre nous : le message hormonal est brouillé, et le corps se dérègle.
Le sucre, une drogue ? Oui. Pourquoi ? Comment s’installe cette dépendance ?
Le sucre appelle le sucre. Comment se fait-il que nous acceptions la frustration de ne pas pouvoir acheter une Lamborghini ou d’aller sur Mars, si tel est notre rêve, mais que nous ne puissions pas résister à un bonbon ou une barre chocolatée ? Non, on ne peut pas voler une fusée et aller sur Mars, non, on ne devrait pas pouvoir voler sa santé et manger des produits transformés tous les jours, c’est la même logique pourtant, à un séjour à Guantanamo près.
L’addiction commence lorsque le sujet sent qu’il doit consommer davantage de cette substance pour être bien. Étant absorbé par notre corps, le sucre déclenche la cascade de dérèglements hormonaux vus plus haut, un rééquilibrage se fait par le corps, jusqu’à ce que l’organisme, par le biais notamment des surrénales et du pancréas, commence à fatiguer, et le désordre hormonal et le mécanisme addictif s’installe. Une leptine bloquée par l’insuline et le sujet n’est plus rassasié, un cortisol déréglé par des surrénales épuisées et le patient stresse et a besoin de se remplir.
Cela peut commencer à la suite d’une frustration, pour combler un vide, calmer un stress, puis, nous finissons par “manger nos émotions”. Même si nous ne sommes pas tous égaux face à la dépendance, les profils génétiques n’étant pas tous à tendance addictive, ce trouble affecte tout de même de plus en plus de personnes dans nos sociétés modernes.
Ainsi, le corps induit la pulsion de recommencer à consommer, à chaque fois que nous en éprouvons le besoin, pour compenser. Le sujet est alors confronté à une faim hormonale, qu’il ne pourra contenir qu’un temps par la volonté, vertu qui n’est pas infinie.
Comment savoir si l’on est dans une addiction au sucre ? Même s’il est difficile de poser des vérités brutes en dehors d’une anamnèse complète, pour établir si oui ou non une personne peut être concernée, il y a toutefois quelques signes qui peuvent nous y faire penser :
Des réveils nocturnes récurrents, entre 1 et 3 h du matin, ce qui indique un foie surchargé.
Si le sucre est considéré comme un réconfort ou une compensation, comme si le sujet “mangeait ses émotions”.
Si de l’anxiété ou de l’irritabilité apparait lorsque la personne ne peut en manger, ou si elle a des obsessions, des envies impérieuses, incontrôlables d’en manger par moment.
Si, lors d’un essai de la diminution de consommation de sucres, il y a envie de compenser en mangeant plus afin de retrouver le même niveau de satisfaction.
Voilà pourquoi nous pouvons en toute évidence déclarer que le sucre, lorsqu’il n’est pas dans un aliment vivant mais dans un produit industriel transformé réalisé avec des sirops de glucose, par exemple, est une drogue addictive au même titre que la cigarette, l’alcool ou la cocaïne, sans confondre nature et degré. Notre physiologie étant la même que celle de nos ancêtres du paléolithique, nous ne sommes pas conçus pour gérer de telles charges glycémiques.
Le sucre est un perturbateur endocrinien puissant qui, en surconsommation, dérègle notre production d’insuline, notre sphère hormonale et peut nous conduire à des maladies graves. Il est donc nécessaire de gérer nos apports en fonction de notre sexe, de notre âge et de nos activités.
Ceux qui ont éliminé le sucre pendant un temps, par exemple au moment d’un jeûne, parlent de symptômes très désagréables lors des premiers jours, comme des maux de tête, nausées, des étourdissements, une faiblesse musculaire, des chutes de tension et des envies très fortes, voire obsédantes, véritables symptômes du manque d’une substance addictive. Ces symptômes ne sont heureusement pas permanents. Ils ne durent que jusqu’à ce que le corps s’adapte et reprenne son fonctionnement normal, en homéostasie.
La nature étant tout de même bien faite, lorsque le sujet se désintoxique, le corps et ses hormones reprennent leurs droits.
À tout bientôt pour la suite et fin de cette série sur le sucre. Dans ce dernier article, nous aborderons les solutions d’un point de vue naturopathique. Et en attendant, je te dis à jeudi prochain pour de nouvelles aventures.
Salutations vivantes 🍓
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Biblio :
The Obesity Code, Dr Jason Fung, ed Scribe.
Le sucre, l’amère vérité, Dr Robert Lustig, ed Thierry Souccar éditions.
Faites votre glucose révolution, Jessie Inchauspé, ed Robert Laffont.
« Sugar addiction: is it real? A narrative review » – DiNicolantonio, J. J., O’Keefe, J. H., & Wilson, W. L. (2018). Sugar addiction: is it real? A narrative review. British journal of sports medicine, 52(14), 910-913.
*Étude sur le gras vicéral (VAT) et taux de cortisol : « Modifying influence of dietary sugar in the relationship between cortisol and visceral adipose tissue in minority youth » – Gyllenhammer, L. E., Weigensberg, M. J., Spruijt‐Metz, D., Allayee, H., Goran, M. I., & Davis, J. N. (2014). Modifying influence of dietary sugar in the relationship between cortisol and visceral adipose tissue in minority youth. Obesity, 22(2), 474-481.
C’est vrai que l’addiction est un véritable handicap dans la vie qui peut aller de la déchéance à la mort. Alors, il est temps de réduire nos addictions pour éviter de tomber dans le gouffre d’où il est très difficile de sortir.
Ce troisième article sur le sucre complète très bien les deux premiers. Cette saga sur le sucre, très bien argumentée, m’a permis de mieux connaître ce produit qui, en excès, peu devenu un poison pour le corps et l’esprit.
Comme d’habitude, ton article est très bien écrit et agréable à lire.
Merci pour ton retour ! 😁✌️